Autrefois, il y avait beaucoup de sorcières dans les Landes, en particulier dans la belle et riche Chalosse. On disait même – mais qu’est-ce qu’un Marencinot ne dit pas contre un Chalossais ? – « que les châles que portaient les femmes, et qui fit donner le nom à la contrée, étaient le fait des sorcières. » N’arrivent-elles pas toujours avec leur balai drapées dans un grand châle ?
Bertrand n’y croyait pas et ce soir là il avait fêté dignement le marché de Dax. La route est longue pour aller à Pouillon quand on marche à pied. Il était presque minuit dans la lande de Montpeyroux près du chêne de Cassoouric lorsqu’il vit venir de petites lumières. Ce chêne avait mauvaise « réputation ». On disait que le lendemain des lunes, le sol était piétiné tout autour et qu’on y trouvait des bouts de rubans. Mais il était isolé dans la lande et il n’y avait pas le choix, les lumières approchaient. Rapidement, il grimpe au chêne pour se cacher dans les grosses branches. A peine installé, il voit au pied de l’arbre des femmes jeunes et vieilles qui se prennent par la main et se mettent en rond, tout en bavardant. Un homme habillé de rouge arrive, les yeux brillants comme des escarboucles, élégant comme un prince.
« Comment allez-vous mes commères ? Tout le monde est là ?
- Non, il manque… la voilà. »
Et toute essoufflée, la dernière arrivante s’excuse :
« Je suis en retard, mais j’ai jeté un sort à la fille du marquis.
- Bon, bon, fit le diable, et que faut-il pour la guérir ?
- Tuer la plus belle jument de l’écurie et lui donner trois gouttes de sang à avaler…
- Toujours aussi gaillarde, je vois. C’est bien, dansons maintenant. » Et prenant un violon, ils se mirent à danser au rythme endiablé de l’archet du malin. Le sabbat continua ainsi jusqu’au chant du coq.
Dégrisé et transi, mon Bertrand descendit du chêne et ne souffla mot à personne de sa mésaventure. Mais le samedi suivant, il entendit parler à Dax de la maladie de Mademoiselle de Poyanne. La fille du Marquis se languissait et en plein marché, un héraut avait promis récompense à qui la guérirait. Très sûr de lui, Bertrand demanda à voir seul Son Excellence Monsieur le Marquis de Poyanne, gouverneur de Dax et des Lannes, et lui indiqua le remède. Sitôt dit, sitôt fait, voilà la fille guérie. Une grosse bourse de louis récompensa l’heureux thaumaturge et il rentra tout fier chez lui.
Il acheta sa métairie et sa réussite fit beaucoup d’envieux, en particulier son jeune frère. Sans arrêt, celui-ci lui demandait le secret de sa réussite. Enfin, il le lui dit et, la lune suivante, le frère de Bertrand va sa cacher dans le grand chêne de Cassouric. A minuit, il voit arriver diable et sorcières et la danse commence. Arrive enfin une sorcière, le visage renfrogné, avec un « mus », je ne vous dis que ça ! En riant, le diable lui dit :
« Bonne nouvelle ce soir, ma fille ?
- Non, la fille du Marquis est guérie.
- Hein ? Et par qui ?
- Par celui d’en haut. »
Voilà mon jeune homme tout tremblant qui se croit découvert et se met à crier :
« Pas vrai, pas vrai, c’est mon frère. »
A ces mots, les lumières s’éteignirent. Tout disparut et mon drôle, le lendemain lorsqu’il voulut descendre, se trouva entouré d’une forêt de ronces. Il y laissa ses vêtements et arriva chez son frère en piteux état.
« Imbécile, lui dit Bertrand, tu ne voyais donc pas que c’était le bon Dieu qu’elle désignait ; va te confesser et va au pré garder les vaches. Tu n’es bon qu’à rester vacher. »
Ce qu’il resta.
Tric, trac, lou counte acabat (Tric, trac, le conte est achévé).
(D’après le livre « Contes et légendes des Landes » de Jean Peyresblanques)